Mustapha Meghraoui, sismologue : «L’Algérie possède l’un des meilleurs codes parasismiques au monde»

Il a entamé un parcours de longue durée, en réalisant
son mémoire de doctorat sur la sismicité de la région de Chlef, où il est
citoyen d'honneur. Il a travaillé sur plusieurs projets internationaux,
notamment le projet méditerranéen financé par l'UE, ainsi que des projets dans
le Moyen-Orient (Jordanie, Liban, Syrie et Turquie) et en Algérie (Boumerdès).
Il a travaillé avec des étudiants de différents pays, tels que l'Algérie, le
Liban, la Syrie, la Turquie, le Maroc et le Sénégal. M. Meghraoui est membre de
l'Académie algérienne des sciences des technologies et vice-président de la
commission séismologique africaine. Il représente souvent l'Algérie, lors de
grands symposiums et colloques internationaux.
El Moudjahid : Quelle est votre lecture sur le récent
tremblement de terre qui a ravagé la Turquie et la Syrie ?
Mustapha Meghraoui : En tant que scientifique, j’ai
travaillé en étroite collaboration avec le centre de recherche, qui appartient
au ministère de la Défense syrienne, sur le projet «Apamée» « un site
archéologique en Syrie situé près de l’Oronte à 55 km au nord-ouest de Hama,
juste à côté d’Idleb. J’ai aussi travaillé avec les centres de recherche turcs
dont l’Institut technique d’Istanbul de l’Université d’Istanbul. Je connais
bien la région et je l’ai étudiée avec mes étudiants et mes collaborateurs.
Pour vous dire que ce qui s’est passé ne me surprend pas ! Pourquoi ? Il y a
une grande faille dans la zone du récent tremblement, appelée faille
«Est-anatolienne» qui a généré plusieurs tremblement de terre, dans la partie
Nord-Est (de la zone du tremblement), elle est l'une des zones sismiques les
plus actives au monde et les plus sismiques en Europe. Fin novembre, un
tremblement de terre de magnitude 6,1 avait déjà frappé le Nord-Ouest de la
Turquie, faisant une cinquantaine de blessés et des dégâts limités. En janvier
2020, un séisme de magnitude 6,7 a frappé les provinces d’Elazig et de Malatya
(Est), faisant plus de 40 morts. En octobre de la même année, un tremblement de
terre de magnitude 7 en mer Égée avait fait 114 morts et plus de 1.000 blessés
en Turquie. Quant à la partie sud-ouest elle est restée silencieuse depuis le
grand tremblement de terre du 29 novembre 1114, qui a dévasté Antakya, Marache,
Alep et a fait plus de 40.000 victimes, il y a des archives précieuses et des
manuscrits au niveau de la bibliothèque El-Assad de Syrie qui documentent
l’évènement. L’éminent sismologue syrien Reda Sbeinati et le professeur
Nicholas Ambraseys, sismologue britannique, ont beaucoup étudié la géologie de
la région. Donc voilà, cela fait plus de 1.000 ans que les contraintes
s’accumulent, chose qui fait que le dernier séisme en Turquie est très important,
c'est qu'il y a une faille très importante, ça paraît simple à dire, mais c'est
elle qui peut faire de très grands séismes, le premier était de 7,8 et le
deuxième 9 heures plus tard de 7,7.
Peut-on prévoir ce genre de catastrophe ?
Prévoir oui, prédire non. Il faut nuancer, les
chercheurs étudient et analysent les sols pour remonter l'histoire des régions,
ce qui est important pour montrer que les régions où il y a eu un tremblement
de terre auront probablement un autre tremblement de terre. Cependant, la
période de récurrence de ces tremblements est variable et peut aller de 1 à 10
siècles, en fonction des régions. Par exemple, dans la région du Moyen-Orient,
la période de récurrence est de mille ans. Même dans les régions où il n'y a
pas eu de tremblement de terre, il y a une incidence sismique et un tremblement
de terre se produira tôt ou tard. Il est important de noter que les chercheurs
ne peuvent pas prédire exactement quand se produira un tremblement de terre,
mais ils peuvent prévoir que les régions à haut risque de séismes sont plus
susceptibles de les subir à l'avenir. Nous communiquons avec les établissements
étatiques tels que les centres de recherche sur la construction et l'urbanisme
pour actualiser les codes parasismiques. Les ingénieurs prennent en compte les
nouveaux paramètres pour s'assurer de leur pertinence. Cependant, il est
crucial que les autorités compétentes veillent à l'application rigoureuse de
ces codes dans le domaine de la construction. Sinon, en cas de séisme, les
conséquences peuvent être dévastatrices, comme cela a été le cas à Boumerdès où
les constructions ont été faites avec du sable des rives et du béton, ce qui a
entraîné une tragédie. Les exemples de Turquie et de Syrie montrent
l'importance de suivre les codes parasismiques pour éviter une catastrophe
similaire.
Et qu’en est-il de l’Algérie ?
L’Algérie est une zone sismique, au cours de son histoire, elle a subi plusieurs séismes
destructeurs. On peut citer : 1365, 1715, séisme d'Alger ; 1790 le séisme
d’Oran ; 1954 séisme d'Orléansville (El Asnam), magnitude 6,7 ; 1980 séisme
d'El Asnam, magnitude 7,1, le séisme d'Ain Temouchent, le séisme de Jijel de
1856 peut être équivalent à celui d‘El Asnam, car il a occasionné beaucoup de
dégâts, catastrophe illustrée —par un avant et un après tsunami— par un
graphiste sur une barque publié à la revue française l’Illustration ; donc
l’Algérie n’est pas à l’abri de ce genre de catastrophe. D’ailleurs, il y a une
étude que j’ai publiée, qui atteste qu’il y a eu beaucoup de tsunamis qui ont
affecté la côte algérienne, en plus, dans la région de Tafna (Temouchent) il y
a des volcans quaternaires qui ne sont pas actifs. Cependant, l'Algérie possède
l'un des meilleurs codes parasismiques au monde grâce à l'expertise de mes
collègues du Centre parasismique d'Hussein Dey à Alger et des sismologues de
Bouzaréah. Je suis fier de leur travail qui a permis de modéliser et d'affiner
un code parasismique impeccable. Cependant, ce code n'est pas toujours respecté
et c'est à l'Etat et à la puissance publique de veiller à ce qu'il soit
respecté à tous les niveaux. En tant que scientifique, je lance un appel aux
autorités de mon pays à travers le quotidien El Moudjahid. Je demande que des
bourses bien dotées soient accordées aux jeunes pour les encourager à
travailler, à développer et à approfondir leurs connaissances dans le domaine
de la sismologie.
S. M. N.